« Gueule en terre, gueule en terre », éructe un tablier blanc. La bleuette, les yeux bandés, rampe dans l’herbe, à tâtons. Il est 20 h et le baptême des étudiants libramontois débute. Les onze autres bleus sont parqués derrière une bâche. La « guindaille » a lieu dans une sapinière, en bordure du stade de foot, une bonne partie de la nuit de vendredi.

« Dégage bleu, casse-toi bleu », surenchérit un autre. Véritable parcours du combattant, un pétard pirate explose à quelques centimètres de sa jambe. Un aller-retour, fait de soumission, commence.

Un ancien baptisé, cagoulé, prépare un gésier de poulet en guise d’entonnoir. La forme phallique fait songer à un autre organe. « Le baptême, c’est avant tout du psychologique ». Une tronçonneuse sans chaîne simule un massacre pour l’aveugle d’un soir.

« Les médias sont en train de tuer les baptêmes. Ici, cela n’a rien à voir avec les bizutages en France », s’exprime un jeune qui s’étonne de l’appareil photo. « Attention, c’est quand même secret ce qui se passe ici. »

« Dis bonjour au cochon »

22 h. Un « ô admirable, ô admiré, ô désiré, ô désirable, ô estimé… Je vous salue sérénissime parrain, moi, la bleuette puante, je te salue… » Réponse de l’interlocuteur : « Ton sourire, tu te le mets dans ton c… »

Il paraît que le bleu peut s’arrêter à tout moment et que les « tortionnaires » ont vécu la même épreuve : comme enfiler un hamburger fait de fromage poivré, de ragoûtante bouffe pour chiens et chats. Une baignoire remplie d’eau douteuse rafraîchira les idées, avec ses 5 degrés. Suit un « gueule en terre » au milieu des abats noyés. La miss en t-shirt ne bronche pas, grelotte.

23 h. Le bandeau enlevé des yeux, la téméraire se dit que les organisateurs ont dévalisé l’abattoir : têtes de sanglier, peaux de lapins. « Dis bonjour au cochon », bisou à la tête de porc. Un renard crevé a été ramassé sur le bord d’une route. On parle de raser une jeune fille.

On monte en puissance au prochain stand, où il faudra se goinfrer d’autres crasses en moins d’une minute avec un œuf écrasé sur les cheveux. « On fait attention aux allergies et aux phobies, tous les abats et animaux sont passés au déthol. »

Clou de l’humiliation : une cage où l’on doit faire preuve de connaissances sur le folklore estudiantin : « Ça peut paraître barbare, confesse un ex-baptisé. Je ne suis pas sûr que des parents seraient fiers de leur enfant ! »

Vers minuit, on en a vu assez. Pourtant, il s’agira encore de se coucher dans un cercueil avec un matelas de fumier. Au stand « sexe », restera à boire cul sec différents liquides dans des préservatifs, puis passer sous une guillotine qui simulera de trancher le sexe ou les seins. Enfin, le grand inquisiteur bénira chacun.¦

Une telle soirée est à l’initiative des comités de baptême, elles est évidemment indépendante des directions d’école. Des directions qui assurent d’ailleurs être soucieuses de l’accueil des nouveaux.

Une pénurie de bleus

Sigrid est une ancienne baptisée de 24 ans. Elle craint la fin des baptêmes en province de Luxembourg

Vous êtes éducatrice spécialisée et poursuivez des études en tourisme.?Pourquoi êtes-vous ici ?
Je suis revenue voir mes amis, passer un bon moment. Voir aussi ce que j’ai subi il y a quelques années. À Virton, pour les étudiants, ça s’est arrêté, on ne peut pas faire un comité à deux. À Bastogne, plus qu’un ou deux bleus. Il n’y a plus assez de gens pour reprendre. Les jeunes ont des a priori sur les baptêmes. Ils ne veulent plus y participer. On n’a plus assez de bleus.

Le côté dégradant, voire les humiliations y jouent un rôle ?
Non, je pense qu’être bleu, c’est aussi apprendre à respecter les engagements, de pouvoir accepter des choses, se taire.Dans la vie, cela peut apporter beaucoup dans le domaine professionnel, par exemple. C’est aussi une fierté de dépasser ses limites.

Vous y allez fort.?Pas trop fort ?interrogation
Tout ce que les bleus endurent, on l’a testé avant.


L’alcool chez les jeunes interpelle de plus en plus. S’amuser sans alcool, n’est-ce pas possible ? Des baptêmes à l’eau se mettent en place ?
Si, bien sûr, on essaye de responsabiliser. Il y a assez de jeunes qui se tuent chaque week-end. On privilégie le forfait Bob. Celui qui sait retourner en prenant le volant, on lui rembourse la moitié. Pendant le baptême, le bleu ne boit pas.


Vos profs en pensent quoi ?
Certains sont réticents, avec les absences, l’alcool. D’autres sont baptisés.

Et ceux qui ne le font pas sont exclus ?
Non, pas du tout. En venant aux bleusailles, on apprend à se connaître, mais on n’exclura jamais quelqu’un

 

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